[Social Media] Pinterest, Google Hangout, du SM en événementiel et un very zombie bonus

Petit tour d’horizon des stratégies social media en retail (Anthropologie, Lush, Marlette…), un petit cours de Pinterest, illustration d’une utilisation de Google+ Hangout avec le New York Times, naissance de l’agence Ondine de couverture social media d’événements, et un bonus vidéo.

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[www] THE END, ETC. : le temps des « hommes variables » et des sociétés bombes.

Véritable essai docu-fiction créé par Laetitia Masson [X], ce film expérimental web, où l’internaute navigue à travers plusieurs fils narratifs, nous offre une série de vignettes sur le propos de l’engagement dans notre société. Cet ouvrage interactif part d’un constat personnel de la créatrice sur son propre désengagement dans le politique (elle ne voyait plus l’intérêt de voter aux élections présidentielles). Contrairement à de nombreux webdocumentaires et expériences interactives, on trouvera dans ce travail une proposition forte et juste, grâce à la manière de resserrer et de se faire répondre forme et propos.

THE END 1

« Dans une expérience de cinéma inédite sur internet, la cinéaste propose à chacun de s’approprier sa matière première. Pas d’histoire prédéfinie, pas de fin imposée.
Fin du monde ?
Fin d’une ère ?
Fin d’un idéal ?
Début d’autre chose ?
Ceci est votre expérience. »

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  • « La question politique ne s’arrête jamais »

A l’aune de sa propre remise en question personnelle (symptôme finalement largement partagé dans le social) Laetitia Masson invite d’autres à témoigner de cette désertion de l’engagement. Pour elle, impossible de ne pas voir dans cette désaffection du politique (le fait de ne pas voter ou de plus avoir foi dans le système politique) d’autres maux, plus intimes mais tout aussi liés à une sorte d’anomie rampante. Elle en vient ainsi à explorer dans ce « document témoin », pêle-mêle, le sentiment de lassitude, d’isolement, la poursuite « malgré tout » de l’idéal révolutionnaire, la difficulté de créer des relations y compris amoureuses, au cœur d’un début de siècle décidément enlisé dans une atmosphère de crise.

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Elle extrapole ainsi à partir de la figure de l’engagement tout en interrogeant ce que peut bien signifier ce terme dans le quotidien de plusieurs individus réels mais aussi rêvés, par le biais d’un fil rouge fictionnel mettant en scène une sorte de parade amoureuse désillusionnée et stérile entre Elodie Bouchez et Jérôme Kircher. A ce fil rouge, s’ajoute des fils blanc et bleu, à l’image des inserts écrans ponctuant de mots le déroulé : un fil musical suivant l’enregistrement d’une variation musicale de Jean-Louis Murat autour de « La Marseillaise » et un fil portraitiste, mêlant vécu biographique intime et se rejoignant presque toujours sur la question de la désillusion. Tous ces fils arment le portrait d’une société « bombe » ou du moins cocotte minute, partagée entre léthargie, lassitude, impuissance et lutte de toutes les minutes, violence larvée, divorce de la représentation et des idéaux. En parlant de bombe, l’expérience du terrorisme est d’ailleurs explicitement présent, de façon plus théâtrale et poétique que dans un souci de réalisme documentaire, lors d’une mise en scène entre le personnage de Bouchez et celui de Kircher. Car, finalement, si c’est l’implication dans nos choix et nos convictions qui innerve toute l’expérience humaine (de la relation amoureuse au travail) et bien sûr l’aventure collective, Masson nous invite dès le premier dialogue audio à nous rappeler cette question fondamentale (en fait rhétorique car c’est le postulat et le manifeste de ce travail) : « qu’est-ce qui n’est pas politique? ».

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Or, la scénariste l’éclairera au cours de ses divers entretiens, l’heure est à la méfiance et au désaveu de la politique (on y voit l’un des interviewés déclarait que la politique est « un appendice de la société », pas ce qui la fait tourner), en tout cas au sens de sa partie visible, des partis, des politiques, des élections en général. Le constat postule une faillite de la mission du politique, du social, de tout type de construction collective, dans la création de liens entre les individus qui n’ont même plus la foi dans leur propre capacité à aimer, à se projeter, à se lier, à évoluer professionnellement. Ou… plutôt qu’une faillite, peut être est-ce d’avantage, et ça sera mon interprétation, le tryptique d’une explosion des catégories, un ground zero de la boussole de l’homme contemporain occidental où les anciennes révolutions et les anciennes façons de vivre n’ont plus cours, comme l’explique le personnage de Bouchez :

« Réveille-toi Hans, la gauche ou la droite ça n’existe plus. Ils sont à l’intérieur de nos corps »

Cruelle vérité déclarée ensuite par cette dernière mais qui paradoxalement, on le sent déjà, pourrait servir de cadre d’interprétation : « Tout peut s’inventer ». Et voila comment s’instaure un jeu de chaises musicales et de figures du renversement, entre auteur, éditeur et lecteur, entre sujet, actif, passif, entre puissance et imaginaire, entre délitement et corps à corps, à l’image du retournement de situation entre les deux personnages principaux. Le propos culmine en l’exposé suivant qui met à jour la vulnérabilité des constructions sociales (soient-elles des rôles, des rhétoriques, idéologiques usuelles), face à l’explosion des individus mêmes et de l’horizon utopique qu’ils ont perdu :

« Faut arrêter de penser qu’il y a une fatalité des filles, que toutes les filles font la même chose, que toutes les filles aiment la même chose, qu’il suffit d’appuyer sur un bouton, les caresser d’une façon, leur faire certaines promesses. Pour les hommes c’est pareil : un homme ça n’existe pas. Je sais pas qui vous êtes, un patron ça n’existe pas.« 

Xmosaique THE END prologue

« Mange tes légumes ! Révolution verte ! Et en vitesse !
– Ah mais c’est nul la révolution… »

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  • Jeu de miroir dans le dispositif interactif : l’aléatoire et le clic souverain

Le principe de la structure interactive : proposer 3 traitements audiovisuels différents (une fiction de 25 minutes découpée en scènes ou consultable en intégralité, des portraits ou interviews des interprètes, d’experts et d’anonymes, le processus musical de Jean-Louis Murat avec scènes de chants ou backstage pendant l’enregistrement). Ces fragments sont ensuite articulés par les choix de l’internaute qui clique sur des mots et met bout à bout une scène de fiction, de chant et de portrait.

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En creux de ce web-film, une promesse habituelle et chère aux webdocumentaires ou autres productions interactives : celle d’une certaine délinéarisation, mais aussi d’une prise de pouvoir pour le « lect-acteur » comme le scande la communication autour du dispositif, la « possibilité de s’approprier sa matière première » :

« Pas d’histoire prédéfinie, pas de fin imposée. Un dispositif simple pour assembler des films personnalisés. Autant de propositions que de spectateurs…

Près de 4h30 de vidéos, mêlant fiction, musique, documentaire, pour prendre le pouls de nos sociétés, interroger les symboles, sonder les consciences à tous stades de l’échelle sociale. Un vivier de séquences, portraits documentaires, scènes de fiction, dans lequel Laetitia Masson invite chacun à trouver son chemin à travers des mots clés choisis pour vous. »

Mais finalement aussi, car c’est une œuvre expérimentale : une promesse divinatoire avec un miroir tendu à l’internaute, pris dans ses propres jeux d’associations libres entre mots, intention, réponse montée sur-mesure et exploration philosophique sous différentes facettes.

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Sinueux, ce film témoignage permet donc véritablement de mettre en scène nos propres associations (je me suis surprise en choisissant entre autres itérations, par exemple « International / Charité / Spleen » ou « Président, corps, bonheur ») , les réponses que nous cherchons dans nos choix de mots (à mettre en rapport avec l’expérience d’une Magic Ball) et les jeux de perspectives entre auteur, témoignages et spect-acteur (« cliqueur »). Ce qui est troublant c’est le savant mélange entre parcours dans une perspective intime où l’on essaye de deviner les traces de l’intention de l’auteure, pourtant volontairement en retrait, et parcours dans une perspective rejouée, où le spect-acteur se laisse porter par des agencements de clic et d’associations de mots.

Dans ce mélange à l’apparence sauvage, proche du cadavre exquis, même le musicien Jean-Louis Murat se prête au jeu d’associer de nouvelles paroles à un canevas bien connu, celui de la Marseillaise. Comment savoir ce qui relève de nos ancrages, du pli social qui guide nos clics et de nos espaces de vagabondages, de questionnement intime ? Dans cette image de l’interconnexion, impossible de ne pas penser à nos références et à nos imaginaires habituels quand vient le moment de choisir des mots « au hasard ». La mise en scène s’appuie sur des mécanismes de renversement : de la coulisse de Murat, des acteurs « au confessionnal » rompant avec la fiction, et la scénographie elle-même centrée sur les regards fuyants des deux protagonistes principaux. Au centre du dispositif bien sûr, comme annoncé par le titre, l’infini recommencement du même protocole d’action de l’utilisateur, questionne le quadrillage du regard et du geste vers nos horizons de lecture, de visionnage, d’interprétation usuels  dans laquelle s’inscrit notre perspective intellectuelle et mécanique.

mosaique THE END

« Entre ceux qui veulent baiser mais pas parler pour pas se lier et ceux qui veulent parler mais pas baiser pour pas se lier, aucune histoire n’est possible.
– Vous voulez vous marier et avoir un enfant c’est ça ?
– Nan, ça c’est fait.
– Bah ! Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ?
– Pas plus. Mieux.
– Vous avez trouvé ça comment le mariage ?
– Nul.
– Donc, on est d’accord, pas d’histoire, avec personne. »

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L’écriture elle-même, juste, ironique parfois, avec un vrai sens du timing, porte le sceau de la critique de l’auteure sur notre capacité à gérer l’autre (comme en témoigne cette réplique du personnage de Bouchez citée plus haut). Figure centrale de ce mal contemporain, le personnage masculin de Kircher, en permanent pétage de plomb (plus ou moins) silencieux mais las, qui refuse de laisser une femme entrer dans sa vie après trop de déboires sentimentaux – y compris sans intention amoureuse (en l’occurrence pour faire le ménage chez lui): « Je cherche quelqu’un de neutre, quelqu’un comme moi avec qui je n’aurais pas à faire d’effort ! ».

mosaique THE END 2

« Ça va finir par nous user toutes ces conneries. »

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  • Ouverture : Régénération des Corps

Questionnement obsédant du personnage d’Elodie Bouchez à travers les différentes séquences où les 2 personnages principaux de la fiction se tournent autour, se défient, se fuient et se désirent sans arriver à dépasser leurs propres violences respectives, le corps est partout dans ce travail. Où sont les liens qui créent un ensemble cohérent, solidaire, intégral ? Pendant toute l’expérience, chacun cherche son corps, ses repères à coups de clics, en attachant une séquence à une autre, on cherche aussi à prendre congé de la bougeotte ressenti et dans l’injonction à interagir, à faire quelque chose, ne serait-ce que par fatigue ou par la déclaration de la fin des révolutions : alors on navigue… Le message de cette rêverie labyrinthique est cependant déjà présent dans la prise d’otage de la fiction et dans l’injonction pour que l’utilisateur « crée son expérience », qu’il fasse des choix : hors du corps, point de salut.

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Ce retour au corps est ainsi réclamé (1) par le dispositif même, (2) par l’argumentaire (on pensera à l’intervention sur le don avec sa problématique sur les solidarités) et (3) par la fiction elle-même (je pense à la tirade sur le corps du personnage de Bouchez « Ce qui est le plus important : c’est les corps. » vs le personnage de Kircher, intouchable, impénétrable, imperturbable : « On est en train de faire quelque chose, on est en train de discuter » – « Mais à quoi ça sert si ça n’engage à rien ? »). Or, on ne saurait dire finalement si le parti-pris de « THE END, ETC. » va par exemple à rebours dans la contestation de certaines réflexions anthropologiques actuelles sur le corps, où le corps « digitalisé » et capturé dans des dispositifs de communication « virtualisants » dessinent un « homme variable » ou hybride, pris dans des espaces mixtes, numérisés, pour le numéricien Milad Doueihi, créant aussi un homme de l’anticipation ou hyper-rationnel presque « bionique » pour Eric Sadin. Cette pensée évoque un nouvel homme de la performance (expert de la technique et du progrès comme des signes et de la mise en scène lié à une certaine méfiance), puise sa genèse dans son rapport au corps, à la terre, à la souffrance tel que l’explique Michel Serres quand il fait le portrait de sa « Petite Poucette » :

« Petite Poucette n’aura pas faim, pas soif, pas froid, sans doute jamais mal, ni même peur de la guerre sous nos latitudes. Et elle vivra cent ans. Comment peut-elle ressembler à ses ancêtres ? Ma génération a été formée pour la souffrance. La morale judéo-chrétienne, qu’on qualifie à tort de doloriste, nous préparait tout simplement à supporter la douleur, qui était inévitable et quotidienne. C’était ainsi depuis Epicure et les Stoïciens. […] Ne plus souffrir, c’est un changement extraordinaire. »

Dans les mises en scène de l’errance, des faillites des corps, dans les diverses figures de l’éclatement dans le fond et dans la forme, n’y a-t-il pas aussi le spectre d’un sursaut, d’un espace de régénération qui ne serait atteignable que dans la violence des réactions et dans une certaine forme de réapprentissage de la résilience ? On peut ouvrir cette perspective en voyant dans ce travail le recentrage autour d’une œuvre, d’un noyau dur, fruit du point de vue de sa créatrice et d’un ouvrage. Oeuvre avec la fiction centrale disponible intégralement (en cliquant sur « THE END, ETC. » dans les espaces de transition à la fin d’un tryptique) et ouvrage car tendant une main vers un espace dialogique (par exemple avec J-L Murat) et une réconciliation avec les autres subjectivités qu’on appelle dans d’autres espaces, « lecteur » ou « spectateur ». Réconciliation car intégration des temporalités propres à l’espace numérique et leur empreinte sur l’œuvre (via le tagging par exemple et simplement par leurs assemblages).

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Ainsi, n’en déplaise à Petite Poucette, tout concourt à rappeler le corps en lutte, notamment dans le vécu personnel raconté dans les portraits, et finalement, pour détourner Mallarmé, que jamais un coup de clics n’abolira le hasard. Effectivement, comme le dit l’auteure, le travail, la réflexion, n’est jamais fini. Aurore Clément (qui joue la mère d’E. Bouchez), ancienne danseuse, mannequin et actrice, conclue « hors-personnage » (dans l’une des séquences portraits) après avoir parlé de son propre itinéraire, parfois sous forme de chemin de croix : « Ça prend du temps de trouver son propre engagement ». Du temps, de se lever tous les matins et de bonnes chaussures car, le corps dans ce qu’il a de « lourd », dans son épaisseur, et sa captivité – pour citer Foucault – reste le centre absolu de nos blessures et de nos luttes quotidiennes, de la mise en sens de l’expérience humaine et de toutes nos créations utopiques.

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Réalisation : Laetitia Masson
Coproduction : Direction des Nouvelles Ecritures et transmedia de France télévisions  et Memo Prod avec le soutien du CNC et de l’IRI en collaboration avec Incandescence
Bande originale : des musiques de Jean-Louis Murat
Acteurs : Élodie Bouchez, André Wilms, Aurore Clément, Jérôme Kircher, Gil Ingrand, Tom Roberts.